Apprendre à marcher aux enfants

L’histoire

« Quelques mois seulement après la naissance de mon aînée, l’image fantomatique – et désagréable – de mon futur gendre m’est apparue mentalement. J’ai aussitôt imaginé l’histoire d’un homme qui peine à trouver le sommeil quand, pour la première fois, sa fille passe la nuit à la maison dans le même lit que son amoureux.
Dix-sept ans plus tard, quand ma fille atteignait l’âge de mon héroïne, j’ai mis le point final à Apprendre à marcher aux enfants. J’ai alors réalisé que la rédaction de ce livre m’avait accompagné tout au long de ces années à la fois pleines et furtives qui m’avaient vu traverser les affres et les joies de la paternité.
Carnet de bord déguisé d’un papa ? Journal intime caché derrière la fiction ?… Ce livre est plein de pères qui sont tous un peu moi. »

Avec Apprendre à marcher aux enfants, un recueil de quinze fictions à la fois sensibles et lucides, pleines d’humour et d’invention, Mikaël Ollivier nous livre quinze portraits de pères, quinze figures d’hommes d’aujourd’hui.

Le mot de l’auteur

« Tout est dit dans la quatrième de couverture ! Sauf que certains des textes qui composent ce livre sont déjà parus furtivement, il y a quelques années, chez un éditeur fantôme. Ils reprennent vie dans cette édition à ma plus grande joie, aux côtés d’histoires totalement inédites qui approfondissent la thématique qui m’est si chère de la paternité. »

Mikaël Ollivier


La presse en parle

Télérama

radio télévision suisse romande

RTS (Radio Télévision Suisse) – 25 janvier 2016


extrait

C’était un samedi soir. Le lendemain, nous devions aller déjeuner chez mes parents, pour la Fête des Pères. Je venais d’enfourner les bouchées à la reine. Quinze minutes à four chaud, pas une de moins, pas une de plus. Les bouchées à la reine, c’est dégueulasse quand c’est froid au milieu, c’est immangeable quand c’est cramé. Et là, j’entends ta mère qui me dit :
« Chéri, je crois que ça commence ! »
J’ai senti mon pouls s’accélérer d’un coup et je l’ai rejointe au salon.
« T’es sûr? Déjà ??
– Je crois bien, oui. »?
Elle s’est mise à compter. J’ai oublié le temps qui devait s’écouler entre deux contractions. À l’époque, je savais tout ça par cœur.
« Oui ! elle m’a dit. C’est commencé?
– Nom de Dieu ! »
La petite valise pour la clinique était prête : le strict nécessaire pour la mère et pour l’enfant, dont un bonnet en coton si petit que j’en avais fait des cauchemars. À vingt-huit ans, je n’avais jamais tenu de bébé dans mes bras. Pas de neveux, pas de filleul. Rien. L’idée que mon enfant allait être suffisamment petit pour enfiler ce bonnet me donnait des crises d’asthme. Le temps de mettre une veste et on s’est retrouvés dans la voiture en bas de l’immeuble, ta mère commençant à faire le petit chien.
« Le four ! je me suis exclamé.
– Quoi, le four ! » m’a dit ta mère d’une voix affolée.
Puis, me voyant retourner vers la porte cochère, elle m’a crié :
« Si j’accouche dans cette foutue bagnole, je ne te le pardonnerai jamais ! »
Les bouchées étaient juste comme il faut, et j’ai éteint le four à regret.
Un quart d’heure plus tard, on débarquait à la clinique.
« Mais vous avez une semaine d’avance sur le terme indiqué par le docteur Prévost! » s’est étonnée la sage-femme de garde en consultant notre dossier.
Elle avait environ cinquante-cinq ans et la bouche surlignée d’un épais duvet noir qui lui donnait un faux air d’officier de gendarmerie.
« Dites ça à ma femme ! » je lui ai répondu en désignant ta mère qu’on avait assise sur une chaise roulante et dont la langue commençait à pendre tellement elle s’appliquait à respirer comme on le lui avait appris dans les cours de préparation à l’accouchement.
La sage-femme a soupiré, comme seuls savent le faire les représentants de cette race supérieure d’humains appartenant au corps médical. Pas le soupir de monsieur tout le monde! Non, un soupir à la fois plein de leur immense savoir et de leur infinie bonté, mais qui ne manque pas de vous faire sentir combien vous abusez des deux. Un soupir qui laissait entendre que je mettais sans aucun doute la vie d’un autre patient en danger, voire celle d’un nourrisson, en insistant pour qu’on examine ma femme dont le corps avait l’outrecuidance de mettre en doute les saintes prédictions du docteur Prévost.
Trois minutes plus tard, après une rapide plongée entre les jambes de ta mère, elle m’a jeté un regard méprisant en me disant que nous pouvions rentrer chez nous, que ce n’était pas pour tout de suite.
« Vous êtes sûre ? » j’ai demandé bêtement.
Elle m’a souri, d’un sourire qui était le frère jumeau du soupir précédent, et m’a dit que si nous en étions à notre premier accouchement, elle non. (…)
Reproduit avec l’aimable autorisation des éditions Le Passage
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Éditions Le Passage

Parution : 14 janvier 2016
17 euros – 192 pages
ISBN : 978-2-847423235