l’ombre de mars

L’histoire

Les images familières, rapportées par la sonde Viking 1, apparurent sur l’écran, puis le film se poursuivit au-delà de ce que connaissait le public : une marque noire qui s’étire et disparaît, revient, s’allonge, une Ombre. Contrairement à tout ce qui a été annoncé officiellement après les missions des sondes américaines, il y a de la vie sur Mars. Pour éviter toute panique sur Terre, les gouvernements ont préféré taire cette découverte. C’est dans le plus grand secret qu’ils ont construit et envoyé sur place une navette surdimensionnée : « Omega ».
Trois hommes et une femme s’apprêtent à explorer la planète rouge, mais ils ignorent la vraie nature de leur mission. Parfaitement entraînés pour les opérations de prélèvement et d’analyse, ils ne sont pas du tout préparés à rencontrer ce qui se cache derrière l’Ombre de Mars…

Le mot de l’auteur

« Mon premier roman publié ! Une émotion qui ne s’oublie pas. Je me souviens avoir arpenté toutes les libraires juste pour le plaisir de le voir en rayon ! Ce livre marque aussi la concrétisation de ma complicité avec Raymond Clarinard, mon frère d’écriture. »

Mikaël Ollivier


extrait

Mars… Brique pilée, rouille, reflets saumonés ou sanguins, teinte si proche du petit disque rouge observable depuis la Terre par le biais d’un télescope. Maghémite, Fe2o3, oxyde de fer, qui donnait à la planète sa couleur. Mais depuis cinq jours que le vaisseau Omega était en orbite autour de Mars, les formules et la science avaient laissé place à l’émerveillement.
Flottant devant le hublot de sa cabine, Martin Coleman buvait du regard le spectacle hypnotisant d’un lever de soleil derrière la planète rouge. De la vaste navette-station Omega qui tournait dans l’espace en orbite autour de Mars, cette dernière n’était plus ce rubis des nuits terriennes, ce point rouge isolé au milieu d’un réseau de lumignons argentés, mais bien une planète tellurique prenant les trois quarts de la vue, gigantesque et superbe. La Terre, en revanche, n’était plus qu’un point bleu, aigue-marine perdue au fin fond de l’infini, tellement petite et silencieuse, voire insignifiante, que même les vingt scientifiques de très haut niveau qui composaient l’équipage d’Omega ne pouvaient qu’en être émus. Penser, après neuf mois de voyage, que sur cette tête d’épingle si lointaine vivaient, mouraient, s’aimaient, se combattaient les humains, avait de quoi donner à réfléchir. Vertigineuse leçon d’humilité sur laquelle Martin méditait tout en contemplant les variations de couleurs qu’affichait la fine atmosphère de Mars. Du rose à l’or, subtilement, avec la grâce sans pareille de ce qui est naturel.
Déjà, un voile éteignait les étoiles les plus proches, l’atmosphère de la planète ne semblait plus qu’une bruine et soudain, la lumière emplit l’espace. Martin en fut profondément ému. Une émotion brute, poignante. Le soleil était là, déjà haut dans les étoiles au-dessus de la courbe de Mars, de Phobos qui venait d’apparaître et d’Omega qui poursuivait sa ronde.
***
Le soleil venait de pénétrer la cabine de Peter Langdon, le commandant de bord, ancien colonel de l’US Air Force et seul militaire embarqué sur Omega. Son regard fixe observait sans la voir la surface de Mars, son esprit agité de pensées que la dureté de ses yeux indiquait ombrageuses. Sanglé sur le seul siège de la pièce exiguë, il ne bougeait pas d’un cheveu, les coudes coincés entre les accoudoirs du siège, les mains jointes sous le nez.
Après un moment encore de cet immobilisme, et quand Deimos, plus haut au-dessus de l’atmosphère de Mars, entra dans son champ de vision, Langdon cligna des yeux, expira profondément et, de la main droite, appuya sur l’un des boutons du panneau de commande mural de sa cabine. Il se tourna vers l’écran de son lecteur de disquette laser, et les images familières de la sonde Viking 1 apparurent aussitôt. Le bras articulé ; le sol caillouteux de Mars, couleur rouille ; le rocher en forme de tortue, sans doute d’origine météorique, à quelque huit mètres devant ; l’atmosphère orangée ; tout cela, Peter Langdon, comme tout le monde, l’avait déjà vu. Mais quand le film se poursuivit au-delà de ce que le grand public connaissait, et dont seule une petite poignée de scientifiques et politiques avait connaissance, il se redressa un peu, tendit le cou et fronça ses épais sourcils. A droite du bras de la sonde, un peu après les traces de forage : une marque noire qui s’étire et disparaît, revient, s’allonge. Une ombre.
Langdon commanda l’arrêt sur image, et comme il l’avait déjà si souvent fait, scruta encore l’Ombre de Mars, ce qui ressemblait à une tête, à des épaules, à un bras.
Sur Terre, depuis 1976, dans le plus grand secret puisque les dirigeants avaient décidé de garder pour eux cette formidable découverte, on avait cherché à comprendre, à imaginer quelle pouvait être la source de cette ombre. Rien de précis n’avait pu être trouvé, sinon que cette chose ? Cet être mesurait plus de deux mètres, qu’il était bizarrement proportionné, sans doute très gros et maladroit, enfin plutôt brusque, d’après le peu de mouvements que l’entité non identifiée avait exécutés dans les dix-neuf films de la sonde où elle apparaissait. Dix-neuf films, pas un de plus, puisque Viking avait brutalement cessé d’émettre du site de Chryse Planitia en novembre 1982. Quant aux films de Viking 2, qui s’était posée loin de là, à Utopia Planitia, et qui avait cessé d’émettre bien plus tôt, en 80, ils n’avaient jamais rien montré de tel.
Peter Langdon relança le film, le dernier de la sonde, celui dans lequel l’ombre était la plus nette, la plus proche aussi, et qui s’achevait très vite ensuite par la brusque interruption de l’image.
Il regarda sa montre. Eject. Le commandant défit sa sangle et flotta dans la cabine. Il prit la disquette laser et alla la remettre dans le coffre secret dissimulé dans une des parois de sa cabine. Un instant, il pensa à la sonde russe, Mars 6, la seule de sa génération, en 73, à avoir atteint la planète rouge et dont on avait mystérieusement perdu le contrôle.
Il n’était plus temps de s’interroger, de s’inquiéter. En professionnel rodé, Langdon savait ce qu’il avait à faire. Pour l’instant, il fallait veiller à ce que la mission se déroule normalement. Plus tard, il faudrait s’adapter, modifier le cours des choses en fonction des éventuelles conséquences de ce que Langdon savait de Mars ; de ce secret d’autant plus lourd pour le commandant que dans quelques heures, la première équipe d’exploration allait quitter le bord.
D’une pression sur son tableau de commande, il fit retentir dans toutes les cabines la sonnerie qui annonçait le briefing.
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Éditions Fleuve Noir

Parution : mars 1997
Collection : SF Space
Co-auteur : Raymond Clarinard
16,20 euros – 284 pages
ISBN : 2265061832